A l’âge de deux ans et demi, j’ai été hospitalisée durant une semaine pour une crise d’anorexie sévère. Mon corps pour la première fois à dit STOP.
J’ai été hospitalisée pour une crise d’anorexie sévère. Je suis convaincue que j’ai du subir une souffrance tellement intense que j’ai voulu mourir. Mais on m’a renvoyée chez mes parents qui m’ont obligée à toujours finir mes plats, peu importe le temps que je mettais.
J’ai dû régulièrement manger, durant plusieurs jours, cette même assiette qui me donnait des hauts de cœur. J’avais à ma disposition des cruches d’eau pour aider la nourriture à descendre. L’important c’était d’avaler, scénario que j’ai répété quelques années plus tard, lors de mes phases boulimiques. J’ai même mangé par terre, dans le couloir avec le chien.
Alors plus tard, inconsciemment, mon esprit a choisi d’exprimer ma détresse en m’imposant l’automutilation. Grattages à outrance sur mes bras, mes fesses et mes jambes sont devenus mon quotidien.
Malheureusement, mes agissements étaient une aubaine pour que mon père puisse continuer à me violer. En effet, ma mère l’avait chargé de me soigner en me badigeonnant de crème sur l’ensemble de mon corps. Chaque soir, il venait dans ma chambre me mettre de la crème, mon cauchemar continuait… Elle m’avouera vers l’âge de 17 ans qu’elle voyait que mon père avait des érections. Elle n’a rien fait.
J’ai parlé la première fois de mes souffrances à l’âge de 10,5 ans à une cousine qui m’a demandé expressément de parler à ma mère, ce que j’ai fait. Elle m’a dit « Je vais régler le problème ». Rien n’a changé. Elle a laissé faire et je me suis senti abandonnée. Mon seul moyen de survivre était de croire que j’aimai mon père, lui seul était là pour moi. Ma première histoire d’amour est celle d’une relation incestueuse qui a détruit mon corps, ma tête, mon esprit et mon âme, comme 4 millions de personnes en France.
A l’âge de 15-16 ans, j’ai commencé a essayé de me libérer toute seule. J’ai commencé à le repousser.
Un jour, j’étais en seconde, j’étais partie prendre une douche. Il est entré et m’a rejoint. Dans ce lieu, comme pour annoncer une rupture amoureuse, je lui ai annoncé que j’avais rencontré quelqu’un. Ce soir là, mon père m’a annoncé comme pour justifier son amour pour moi, que je n’étais pas sa fille. A partir de ce moment, nous avons eu des relations très violentes. Petit à petit, il s’est éloigné. Mes yeux se sont ouverts. J’ai vu qu’il faisait la même chose à ma sœur. Je m’en voulais. J’essayais de tout faire pour ça ne se passe pas. Ma mère était complice, c’était très difficile. J’avais beau alerter ma sœur, elle ne pouvait pas se sortir de ses griffes. Elle n’avait qu’une dizaine d’année.
Quelques années plus tard, je vais apprendre que finalement, il n’a pas commencé à s’intéresser à ma sœur quand je l’ai repoussé mais que cela faisait des années.
Durant toute mon adolescence, j’ai mis un point d’honneur, inconsciemment, à ne rien faire voir. A l’époque je m’enfermais dans mon sport, le judo. Durant toute cette période, j’ai beaucoup souffert de ma morphologie et mes kilos, mais personne ne venait se frotter à moi.
Pour ma part, je n’ai jamais pensé parler à d’autres adultes. De toute façon, finalement si ma mère ne m’aidait pas qui pourrait le faire. Cependant, aujourd’hui avec le recul de 25 ans de plus, je suis sur que ce n’est pas la bonne solution. Le secret est la pire chose pour une victime. Ce secret détruit l’intérieur. Il a de grandes conséquences dans la vie de couple, familiale, avec ses propres enfants, relationnelles, sociale…
Le 02 mars 1999, mon père est décédé, c’était l’année du bac. Enfin ce cauchemar était terminé et j’étais libérée.
Et bien, contrairement, ça n’a été que le début d’une grande descente aux enfers. La mort de mon père n’a rien changé car ma mère complice de mon calvaire, était toujours là. Avec une pression, ne pas détruire la famille. Le poids du secret était insurmontable. De plus en plus, j’ai essayé d’en parler mais on n’y prêtait plus attention. On ne sait de me dire « Allez le passé c’est le passé. Il faut que passe à autre chose… » Plus j’étais ignorée plus je sombrais.
L’absence de reconnaissance des violences est due à la traduction du déni de la réalité des violences sexuelles en général, et particulièrement de celles faites aux mineurs, notamment des incestes. Aujourd’hui, je suis certaine que s’ajoute à cela une tradition de sous-estimation de leur gravité et de leur fréquence. C’est pour ça qu’aujourd’hui je témoigne et j’ai créer l’association les enfants de Tamar.
Mes parents m’ont détruits tant psychologiquement que physiquement. Les violences sexuelles entraînent une spirale de conséquences graves pour la santé, à l’origine d’une grande souffrance, d’un isolement et d’un risque important de désinsertion socio-professionnelle et affective. Mon histoire d’enfance a un impact sur toute ma vie : vie de couple, vie de famille, vie sociale et professionnelle.
Mais doucement, silencieusement, je bascule et j’aurai pu ne plus être là….
En octobre 1999, quelques mois après la naissance de ma première fille, à l’âge de 23 ans, la boulimie a refait son apparition dans ma vie, avec une accentuation des états de brûlures extrêmes lors des toilettes quotidiennes.
J’ai combiné cette pathologie à une boulimie de travail. Pendant que je me noyais dans le travail, je ne pensais pas à mes souffrances. Mais tôt ou tard tout me rattrape : parothondythe et hyperthyroïdie, ces maladies sont dues à trop de stress et/ou de fatigue. Aujourd’hui, ce sont des cicatrices, comme des souvenirs.
Celles-ci me démangent encore de temps en temps, probablement pour que je n’oublie jamais d’où je viens et pourquoi je suis là.
Je me souviens de cette discussion, en septembre 2009, avec ma nutritionniste me proposant d’aller rencontrer une thérapeute. J’avais ce sentiment que, de toute façon, c’était la thérapie ou la mort assurée. De plus d’envies suicidaires me traversais la tête.
C’est aussi, à cette même époque, 20 ans plus tôt, à 10,5 ans, que j’avais osé parler à ma mère des agissements de mon père. Ce mal être fait aussi écho, au 10,5 de ma fille ainée. Je prenais soudain conscience que mon destin était là, derrière cette porte, mais je n’imaginais pas quel point.
Cette thérapeute a su m’écouter au cours des 12 dernières années de ma vie. Après 3 débuts de prise en charge laborieuses, j’ai eu la grâce de rencontrer quelqu’un qui m’a accompagné durant de longues années. Dans les moments où je pensais être guérie comme dans ceux où je resombrais.
Des maux dus à l’inceste …
J’ai connu les conduites à risque avec mise en danger, alliant les troubles dépressifs, les idées voir même des tentatives de suicide. Je souffrais tellement que j’avais mis un processus d’autodestruction en place.
Aujourd’hui, je suis toujours très attentive car les cicatrices sont toujours là. J’ai mis en place des conduites d’évitement qui ont évité tout ce qui peut se rapporter aux agressions. J’ai combiné hyperphagie (prise importante et compulsive de nourriture) avec la boulimie de travail. Je me noyais dans le travail. Durant ce temps, je ne pensais plus à mes souffrances.
De nombreux troubles envahissaient ma vie comme des troubles de l’humeur, de la personnalité, de l’alimentation, anxieux, psychotique et les symptômes dissociatifs tous dû au choc post traumatique.
Cette violence renvoie à un sentiment de danger permanent, d’insécurité et de perte de confiance, avec une hyper vigilance, Hypersensibilité, contrôle de tout l’environnement, tension psychique et physique. Un ressenti très puissant d’injustice et d’abandon. Ce déni sociétal est dévastateur pour toutes les victimes. Un sentiment de culpabilité importante : de ne pas avoir su parler à d’autres adultes, de ne pas avoir sauvé ma sœur de cet enfer, d’avoir fait exploser la famille…
Un jour, j’ai décidé d’enclencher une démarche en justice. Et là, alors que j’étais prête, c’était trop tard, dans le cadre de mon histoire, le décès de mon père avait enterré tout possibilité de justice. Je ne pourrais jamais mettre mes parents devant les tribunaux ni pour viols aggravés sur enfants de – de 15 ans, ni pour non assistance à personnes en danger, aujourd’hui, c’est une non-dénonciation de crime, pour la complicité de ma mère.
Alors, j’ai décidé de témoigner le plus largement possible. Dans un premier temps à travers un premier livre, intitulé « Mon chemin de guérison : Du viol au pardon », publié en 2015. Cette écriture m’a permis de mettre des mots sur mes maux. J’ai pu aller à la rencontre de mes lecteurs, souvent des personnes ayant vécues de loin ou de près ce drame. J’ai pu observer que mon témoignage permettait de libérer la parole. J’avais pu expérimenter cette libéralisation auprès de mon entourage, d’ailleurs je me suis posé la question si je n’attirais pas ce type de personnes. J’ai de plus en plus évoqué ce sujet, dans le domaine professionnel, auprès de mes élèves, des jeunes que je pouvais accompagner dans le cadre de l’aumônerie.
Puis, après plus d’un an de discernement, en octobre 2018, avec quelques personnes nous décidons de créer l’association « Les enfants de Tamar » pour nous mettre aux services des victimes de violences sexuelles et de leurs victimes.
N’oubliez pas, tôt ou tard, tout vous rattrape. C’est pour ça que parler le plutôt est primordial.
Claire-Aurélie VERAQUIN
Enseignante